Conférence
d’automne
L’antisémitisme et le racisme des
nazis, conférence du 14 novembre 2018
Après avoir remercié, Bernard Decaris,
Joëlle Boileau et Norbert Latruffe, Jean Vigreux présente sa communication sur
« l’antisémitisme et le racisme des nazis ». L’avènement légal du
national‑socialisme en Allemagne (30 janvier 1933) est un des grands
problèmes historiques du premier XXe siècle, une catastrophe à
l’origine de la Seconde Guerre mondiale et du plus terrible génocide de
l’histoire, le massacre de 6 millions de Juifs en Europe. Si la crise
économique des années 1930, avec 6 millions de chômeurs en 1932 en Allemagne,
est souvent considérée comme la cause directe et fondamentale de la chute de la
République de Weimar et de l’avènement du nazisme (avant 1930, le parti nazi
semblait ne jouer qu’un rôle marginal entre 1919 et 1929), telle n’est pas la
thèse défendue ici ; d’autres grandes puissances (le Royaume‑Uni et
plus encore les Etats‑Unis) ont connu une crise économique aussi grave,
sans que des bouleversements politiques analogues aient eu lieu. Cela souligne
que la crise par elle‑même n’explique ni les caractères intrinsèques du
parti nazi (logique totalitaire, antisémitisme), ni l’adhésion apportée par une
forte minorité du corps électoral et une partie des classes dirigeantes à un
tel parti. L’interrogation sur les causes de la victoire nazie renvoie donc aux
structures sociales et aux courants politiques et idéologiques de la République
de Weimar, dont le dispositif a assuré au national‑socialisme le soutien
ou la complicité de forces puissantes, et provoqué la paralysie d’une gauche
divisée et incapable d’entraîner la majorité de la population. Enfin, comme le
rappelle l’historien Johann Chapoutot, on ne peut se contenter de traiter le
nazisme comme folie collective, mais qu’il faut bien tenter de le comprendre du
point de vue de la raison, ce qui s’est passé.
Trois
temps ont guidé la conférence : le NSDAP et sa doctrine ; la mise en
œuvre dans le Reich ou l’antisémitisme en pratique ; la radicalisation par
la guerre. Dans la première partie, il s’est agi de rappeler les héritages de
l’antisémitisme remontant au Moyen-Age et à la tradition chrétienne du peuple
déicide (composante religieuse), puis comment il s’est accentué au XVIIIe
et surtout au XIXe siècle en raison du développement du capitalisme
et enfin l’apport de la « science » qui irrigue des conceptions
racistes développées par un Français, le comte de Gobineau (Essai sur l’inégalité des races humaines,
1853‑1855) et un Anglais admirateur de l’Allemagne, Houston Stewart
Chamberlain (Les fondements du XIXe
siècle, 1899). Les racistes affirment ainsi la supériorité de la race
aryenne (qui aurait conservé en Allemagne le maximum de pureté) et interprètent
l’avenir, en fonction d’un darwinisme mal compris, comme une « lutte pour
la vie » entre les races. Le Juif devient dès lors l’antithèse de l’Aryen,
l’ennemi mortel et omniprésent de la nation et de la civilisation allemande, un
ferment de dissolution à qui on impute, non seulement les aspects néfastes du
capitalisme, mais le marxisme internationaliste. Héritant ainsi de ces
conceptions, le national-socialisme revisite l’antisémitisme qui est renouvelé
par la « norme nazie », non seulement dans son programme de 1920 qui
déclaré inaltérable en 1926, mais aussi par la science et le droit nazis, sans
oublier Mein Kampf. Dès 1920, il est proclamé que seul est
citoyen allemand celui qui est « de sang allemand » ; les Juifs
doivent être exclus des emplois publics, de la presse, de la propriété du sol ;
les non‑Allemands installés depuis le 2 août 1914 seront expulsés), mais
aussi par une propagande active. L’action
du parti ne doit pas viser seulement à persuader, mais à entrainer les foules,
notamment par une impression de puissance disciplinée (uniforme, défilés
derrière les drapeaux à croix gammée, celle‑ci passant pour un symbole
spécifiquement aryen) ‑ et à terroriser l’adversaire. C’est la communauté de combat (Kampfgemeinschaft) où il faut
éliminer celui qui est l’origine de tous les maux, le juif. La seconde
partie de l’exposé s’est attachée à souligner la mise en œuvre dans le Reich ou l’antisémitisme en pratique :
lutter contre la « juiverie » est simplement une question sanitaire
pour les nazis. Le juriste Carl Schmitt en donne alors les contours dès que les
nazis accèdent au pouvoir. Inspirés par les théories d’Adolf Hitler de lutte
raciale, les Nazis, en tant que force politique au pouvoir de 1933 à 1938,
confisquent totalement le pouvoir et décrètent des boycotts antijuifs,
procèdent à des autodafés et mettent en place une législation antijuive dès
1935 avec les lois de Nuremberg qui définissent les Juifs comme une race tout
en imposant la séparation totale des « Aryens » et des « non-Aryens ». La passion
antisémite devient une règle, une norme, mais aussi une obsession. Le 9
novembre 1938, les Nazis détruisent des synagogues et les vitrines des magasins
des Juifs dans toute l’Allemagne et l’Autriche (Nuit de cristal). Enfin, la
troisième partie a mis en évidence la radicalisation
par la guerre, tant par la « Shoah par balles à l’Est » sans oublier
l’usage du lance-flammes purificateur. Le retour du « complot
judéo-bolchevique » a été glorifié par le Reich et ses alliés, conduisant
à l’extermination des Juifs d’Europe dans les camps de mise à mort.
Pour conclure, Jean Vigreux a insisté
sur la question de la norme (« quand tuer, n’est pas tuer » pour
reprendre la terminologie fondamentale de Johann Chapoutot). Evoquer des
« barbares », c’est se refuser à voir qu’il s’agit d’un projet de
société et empêche toute critique rationnelle : les nazis n’étaient pas
des bêtes, mais bel et bien des humains dans leurs paradoxes, leurs
contradictions, leur fanatisme et leur norme.
Jean Vigreux, Professeur d'histoire
contemporaine de l'université de Bourgogne
La
loi du sang Penser et agir en nazi " par Johann Chapoutot
Éditions
Gallimard (Bibliothèque des histoires)
Johann
Chapoutot est professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-Sorbonne