Assemblée Générale 2018
Conférence
prononcée par Madame Guilpain-Giraud
sur Pierre Larousse
Pierre
Larousse,
un
Bourguignon fier de l’être.
Pierre Larousse est né le 23 octobre 1817 à Toucy,
« un pauvre village de basse Bourgogne » comme il se plaît à le
qualifier lui-même lorsqu’il parle de sa province natale. Il fréquente l’école
du village, le maître qui a remarqué la curiosité et la vivacité de l’enfant approfondit l’enseignement de la
journée par des cours particuliers le soir. A l’âge de 17ans, Pierre Larousse obtient l’une des 4 bourses
offertes par le département pour pouvoir entrer à l’Ecole Normale de Versailles,
la meilleure pour la formation pédagogique des maîtres. Deux ans plus tard,
Larousse est nommé instituteur dans ce village dont il se sent partie prenante des habitants, au tempérament
« essentiellement gaulois ».
Ouvrons donc le Grand Dictionnaire
universel à l’article Bourguignon...dans les premières lignes de la définition,
le GDU affirme :
« Si on veut retrouver encore quelque
chose du type gaulois, il faut le chercher chez le BOURGUIGNON». L’article parle ensuite des
rapports du mot avec l’art culinaire pour terminer sur ses liens avec la vigne.
Voilà bien campés les traits de caractères du Bourguignon que nous retrouvons
chez notre lexicographe.
Ce
seront donc les trois parties de ce propos !
I. Un lexicographe plein d’esprit
« Le
Français est né malin, c'est-à-dire gaulois » dit encore le GDU !
Au
XXIe siècle « Larousse » est avant tout une
« marque » qui édite des ouvrages dans tous les domaines ; alors
qu’en son temps au XIXe siècle, Pierre Larousse est perçu comme un
lexicographe de talent s’adressant à des lecteurs qui l’admirent.
Plaire à ses lecteurs tout en les
instruisant fut donc l’objectif de Pierre Larousse. Le ton est donné dès la
préface du GDU, Larousse y prend longuement la défense de Bayle accusé de
s’être laissé aller à citer des anecdotes plus ou moins grivoises.
« Le
Grand Dictionnaire universel du XIXe
siècle regarde le Dictionnaire
historique et critique comme un de ses plus glorieux ancêtres. […] et
plus loin, il précise : le Dictionnaire du XIXe
siècle a été fait si volumineux, qu'aucun lecteur ne sera tenté de le
prendre pour un livre de messe. »
Nous
voici prévenus !
Parmi
les cinq épigraphes de la première édition du GDU, une révèle bien
la tonalité voulue par Pierre
Larousse :
"
Le dictionnaire est à la littérature d'une nation ce que le fondement, avec ses
fortes assises, est à l'édifice ",
elle est signée de Dupanloup. Monseigneur Félix Dupanloup (1802-1878), de
l'Académie française, évêque d'Orléans, devenu
célèbre par sa contribution au Bréviaire
des Carabins. Avouez que le clin d’œil n’est pas innocent de la part d’un républicain qui
écrit le mot « curé » avec une minuscule !
Et
la préface ajoute:
«
[…] Il ne faut pas oublier non plus que, si la langue française est la langue
des poètes, des chevaliers et des troubadours ; si elle plane sur les sommets
les plus élevés, elle fréquente aussi la taverne, la halle et même la cour des
Miracles, et que c'est là surtout que cette gauloise à verte allure étale ses
hardiesses, ses fortes images et l'éclat de ses plus riches métaphores. »
Bref, il conclut
« Quelle est la chose qui ressemble le
plus à la boîte de Pandore ? C'est un dictionnaire ; comme elle, il renferme
tous les mots (tous les maux) ».
Et
Larousse de citer Rabelais, La Fontaine, et Voltaire comme parrains du
GDU !
a) Les gauloiseries d’un
Rabelais.
L’article
« mariage »
débute ainsi : « Union d’un homme et d’une femme faite dans les
formes légales »….mais il se poursuit avec une suite de citations assez
surprenantes
« Le mariage est une sorte de forteresse
assiégée : ceux qui sont dehors veulent y entrer et ceux qui sont dedans
veulent en sortir »
(proverbe chinois)
ou
« Il n’est pas toujours prudent de faire
des mariages ; on a souvent à s’en repentir »
Quant
aux anecdotes qui terminent l’article elles relèvent purement de l’esprit
rabelaisien, en voici une choisie parmi les deux colonnes qui leur sont
consacrées.
« Le marquis de Roquemont dont la femme était très galante, couchait
une fois par mois dans la chambre de celle-ci, pour prévenir les bruits en cas
de grossesse. Le matin, il s’en allait en disant : « Me voilà net,
arrive qui plante ».
même
si Larousse avoue « il ne s’agit ici que
de rire un instant sans malice et sans
conséquence »
Autre sujet propre à la
grivoiserie, odorante cette fois, l’article « pet» : là encore une
quinzaine d’anecdotes dignes de Rabelais illustrent la définition :
« Un
paysan passant devant un notaire, lâcha un vent très bruyant :
« voilà un pet authentique, dit le notaire, -Eh ! Oui ! répondit
le paysan, il a passé par-devant notaire ! »
Bref,
Larousse est un « Bourguignon
salé » comme il le précise à l’article
« Bourguignon » : « les
Bourguignons ont mérité cette épithète par la finesse et la vivacité de leur
esprit »
b) Les clins d’œil d’un La
Fontaine.
Les
Dictionnaires d’aujourd’hui n’insèrent plus
dans leur nomenclature l’article : « abus de mots »,
alors que Pierre Larousse lui fait une large place et le définit comme un « Jeu de mots, un amusement de l’esprit qui joue en quelque
sorte sur les mots »…
Le
gros rire laisse aussi sa place à un humour plus fin. C’est le genre de sourire
que préfère Larousse si l’on en croit sa prise de parole après les sept
colonnes de l’article « calembour » :
« Le
lecteur bénévole s’imagine peut-être que le Grand Dictionnaire en a fini avec
le calembour. Ah ! bien, … tout ce que nous avons dit jusqu’ici, n’est
qu’une simple entrée en matière ; à peine avons-nous pénétré dans le
vestibule. »
On connaît l’affection que Pierre
Larousse portait à son chien Moustache,
qu’il avait présenté à un concours du jardin d’Acclimatation ;
moustache n’ayant obtenu aucune distinction, Larousse lui consacre la première
page de l’Ecole Normale du 17 mai 1863 et y livre toute sa rancœur !
L’article « chat » est tout aussi révélateur de sa tendresse pour sa
chatte Cosette. L’humour avec lequel il manie la prosopopée, tel un La
Fontaine, montre un Larousse fin connaisseur de la race, c’est en quelques
sorte un Colette avant l’heure !
« Je m'appelle Cosette et suis âgée d'un
an, j'ai d'assez beaux yeux, une oreille passable, le museau rose, les dents
blanches, une taille avantageuse. […] Inutile d'ajouter que je suis de bonne
maison, ayant des parents au Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. »
Puis il
continue :
« Je
ne vous cacherai point qu'on me prête quelques défauts…"
S'en
suit une colonne charmante de confessions qui ont peu à voir avec celles de
saint-Augustin ou de Jean-Jacques Rousseau. Et Larousse emporté par sa plume affectueuse termine par un
post-scriptum :
"
J'oubliai. Mon plus grand bonheur, après celui de vous aimer, est de tremper
légèrement l'extrémité de ma patte dans un encrier et de la poser ensuite sur
une belle page blanche. J'obtiens ainsi d'admirables résultats. Un savant de
mes amis, lunettes sur le nez, s'y est trompé tout dernièrement, et a pris un
morceau de ma façon pour la page détachée d'un manuscrit arabe du Xe siècle.
Cela m'amène à vous dire que j'écris comme un chat, mais que j'aime comme un
chien. "
Et puisque nous évoquons La Fontaine,
il faut bien reconnaître que l’esprit des Contes n’est pas en reste. Nombres
d’anecdotes rapportées par Larousse en sont dignes. Qu’on en juge sur pièce,
avec ces quelques vers assez connus, dont Pierre Larousse se fait le relais et,
d’une certaine manière, le conservateur culturel…
« On
sait que Racine ne fut pas toujours
heureux dans ses amours avec la
Champmeslé. Comme elle l’avait quitté pour le Comte de
Clermont-Tonnerre, les plaisants firent sur ce petit événement le calembour suivant :
« le tonnerre l’a déracinée »
Suivent
alors six colonnes d’anecdotes de ce genre:
« Une
dame couvrait ses escapades du manteau de la religion, et prenait pour devise
ces trois mots : Honneur à Dieu. Un plaisant y fit un léger changement en
écrivant : Adieu, honneur. »
ou
encore
Le
notaire
Un
garde-note ayant fringante épouse,
Chez
elle un jour, par le démon poussé,
Entra
soudain, n’étant point annoncé,
(Trait
ordinaire à toute âme jalouse).
Que vit
notre homme ? … ô spectacle odieux !
Nouveau
Vulcain, il vit de ses deux yeux
Un autre
Mars vaquant au doux mystère ;
Il en
frémit… mais le couple fripon
L’osant
railler : « Eh bien ! Notre acte est bon,
Convenez-en ;
il est devant notaire ».
Larousse a toujours le sourire au coin
des lèvres et même lorsque le sujet ne
s’y prête guère, il ne peut s’empêcher de placer son grain de sel pour
s’amuser, comme dans l’article « agonie »… la dernière des neufs
histoires qu’il évoque est bien un hommage à La Fontaine, jugez plutôt :
« Un
loup à l'agonie faisait son examen de conscience : « Je suis vraiment un grand
pécheur, disait-il; j'ai dévoré bien des créatures innocentes, et la mort de ce
pauvre petit agneau que j'étranglai si injustement autrefois, me remplit
aujourd'hui de remords…
-Je puis
attester tous ces faits, interrompit un renard de ses amis, qui l'assistait
dans ses derniers moments. Toutes les circonstances en sont encore présentes à
ma mémoire : c'était à l'époque où tu manquas d'être étranglé par cet os que la
cigogne te retira du gosier. »
Ce
penchant jovial, ce trait
d’esprit on le trouve au hasard d’un article dans le développement qu’il en donne. L’article « loup garou», par exemple, lui permet
quelques malices :
« Nous avons vu cependant, dans notre
jeune âge des loups-garous qui effrayaient encore les femmes et les petits
enfants ; mais l'un d'entre eux ayant reçu, une nuit, une décharge de gros plomb dans le gras des
jambes, le pays qu'il terrifiait fut tout à coup débarrassé de ce fléau. Nous
ne recommandons pas le procédé, mais il est efficace. »
Malice
que l’on reconnaît dans les exemples choisis pour illustrer l’article
« anecdote » :
“Le plus heureux des maris, sous
le soleil, fut Adam. Il avait un grand avantage sur tous les autres
couples....Il n’avait pas de belle-mère”. Amusement pur de Larousse
qui n’avait pas de belle-mère puisque la mère de Pauline Caubel, sa femme,
était décédée bien avant que les deux jeunes gens ne se fréquentent !
ou
encore…
“Pourquoi appelle-t-on les lettres
diplomatiques des circulaires ?
Parce qu’elles tournent autour du sujet
sans jamais arriver au but”.
Mais le clin d’œil, nous le voyons,
devient vite moqueur et le regard que Larousse jette sur son monde ressemble
alors beaucoup à celui de Voltaire. Son rire se fait alors accusateur et
dénonce les travers de l’homme ou de la société.
c) Les sourires d’un
Voltaire
« Castigat
ridendo mores » (elle
corrige les mœurs en riant) telle était la devise que Molière avait fait sienne
pour ses comédies. Plaire en instruisant, tel était aussi le but de Pierre
Larousse qui ne peut s’empêcher de faire rire ou sourire son lecteur …
C’est
parfois juste un coup de patte :
Quelle
ressemblance y a-t-il entre une pomme cuite et un menteur?
- C'est
qu'ils ne sont crus ni l'un ni l'autre.
ou
un coup de griffe comme dans l’article « relique » : une colonne
dresse la liste « à peu près
complète, dit
notre lexicographe, des principales
reliques conservées dans les divers sanctuaires du catholicisme » ; Larousse compte ainsi
les doigts attribués à saint Jean-Baptiste.
« Il en
possède soixante à lui tout seul, dont onze index. Saint-Barthélemy possède neuf mains ce qui lui fait pas moins
de quarante-cinq doigts » […]
Mais
parfois aussi, l’humour devient un trait d’humeur, alors il fait mouche ; comme dans
la Préface
du GDU :
« Arrivons donc au dictionnaire de l'Académie, et peut-être ne
serons-nous pas tout à fait de l'avis de Piron, lorsqu'il disait, en montrant
du doigt le palais Mazarin : " Ils sont là quarante, qui ont de l'esprit
comme quatre. "
Le
« peut-être » et le « tout à fait » ne vous ont pas
échappés et ce sont bien des indices de l’ironie ! D’ailleurs, les lignes
qui suivent ne laissent aucun doute ; Larousse explique qu’ils en étaient
à la lettre E et que l’un des 40 donna cette définition du mot Ecrevisse :
« Petit
poisson rouge qui marche à reculons »
En
fait, parmi les reproches que Larousse
adresse au dictionnaire de l’Académie, c’est d’employer trop souvent la méthode
d’équivalence et il cite le mot âne défini trop rapidement comme un
baudet.
L’article
« Anecdote » comporte neuf colonnes d’exemples ce qui fait 171
histoires drôles, avant de le terminer Larousse se sent obligé de s’expliquer,
il ajoute alors deux colonnes pour argumenter son choix et répondre à un
reproche qu’on lui a adressé au sujet de ses histoires placées dans un livre
sérieux, il explique :
« Placées
dans un dictionnaire, elles égayent une matière aride, un peu monotone, comme
le sont tous les livres assujettis à l'ordre alphabétique, où ni l'imagination
ni la fantaisie ne peuvent se donner carrière. Ce sont, au milieu d'un désert
immense, de fraîches oasis à l'ombre desquelles le voyageur aime à se reposer
quelques instants avant de poursuivre sa route dans une immensité
poudreuse. »
Et
plus loin encore :
le Grand
Dictionnaire est de son pays, et il ne doit jamais oublier qu'il a pour
parrains Rabelais, Montaigne, La Fontaine, Molière, Voltaire, Beaumarchais,
Rivarol, Chamfort, etc., dont les noms émaillent chacune de ses pages.
ce
sur quoi il termine par une élégante pirouette :
Que
ceux-là, donc, qui ont peu d'amour pour les anecdotes, ou qui s'en défient, ne
les lisent pas, et tout sera dit. »
II Larousse, le gastronome.
C’est généralement au cours de l’enfance que se forgent
les goûts les plus profonds du futur adulte. Pierre
Larousse, fils d’une aubergiste d’un « pauvre village de basse Bourgogne » découvre dès l’âge de six
ans le bonheur qu’ont les êtres humains à deviser, devant
la bonne assiette fumante d’un potage maison.
Pierre Larousse a sillonné allègrement les bois qui
entourent Toucy, il a parcouru les « bords
fleuris de l’Ouanne, délicieuse
petite rivière du Département de l’Yonne au milieu des bois » comme il le dit dans L’École Normale (VIII, p. 146).
Avant de cheminer le long des articles,
ouvrons les pages de la préface du Grand Dictionnaire, il y est tout de suite
question de repas :
« Nous adressant aux
lecteurs de toutes les classes, quels que soient leur âge et leurs goûts, nous
n'avons rien dédaigné, et nous avons voulu que le savant et l'ignorant, l'homme
sérieux et l'homme frivole, le vieillard et l'enfant, pussent prendre chacun leur part à l'immense banquet qui est dressé pour tous dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe
siècle. » .
Tout
est dit!
Le Grand Dictionnaire Universel
témoignera donc
aussi de ses découvertes gastronomiques comme des tartines de raisiné, cette confiture
faite de raisin commun, de pommes et de poires et qu’il a goûtées en rentrant
de l’école. D’ailleurs
quand il parle de Toucy,
il n’oublie pas deux
mots fétiches à force d’être récurrents, ils évoquent le souvenir de la
terre natale, les mots « asperge » et «auberge », qui sont l’occasion
de faire revivre l’époque de son enfance ou de raconter une histoire qui va
faire sourire son lecteur.
Un jour, Fontenelle, avait invité
un de ses confrères à dîner.
« C'était,
dit la chronique, le cardinal Dubois. Dubois aimait les asperges à la sauce ; Fontenelle les préférait à
l'huile, et le cuisinier avait reçu l'ordre de préparer le délicieux légume
moitié à l'huile, moitié à la sauce.
Tout
à coup on vient annoncer à l'amphitryon que Dubois a rendu... son âme au
diable, et Fontenelle de crier d'une voix qui retentit jusque dans les cuisines
: « Toutes les asperges à l'huile ! » Telle fut, dit-on, l'oraison funèbre
du trop fameux cardinal. »
Les
asperges…tout un chapitre de la période toucycoise ! Ces dernières, « douces et extrêmement
savoureuses », représentent assurément une sorte de « madeleine de
Proust » avant la lettre, preuve en est les louanges de
notre lexicographe, ces « filles du
printemps » s’épanouissent à Toucy « comme les belles courtisanes
d’Athènes poussaient naturellement à Corinthe ». Un
des plats inoubliables de l’enfance sans aucun doute, et comme la plume du gourmet
n’oublie jamais de
préciser la recette préférée, nous apprenons que : « C’est surtout à la sauce blanche que l’on en
tire tous les sucs délicieux qu’elles recèlent : leur délicatesse
s’accommode peu de l’huile et du vinaigre. Manger des asperges de Toucy à
l’huile et au vinaigre, autant vaudrait arranger un ortolan à l’ail ou un
faisan en fricassée ».
Il
est vrai que notre Pierre n’a pas oublié les temps de privation loin du
fourneau maternelle, lorsqu’il logeait dans une chambre du quartier latin au
cinquième étage et que le seul repas de la journée était une soupe faite en
cachette lorsque tous les habitants de l’immeuble dormaient. La préface du GDU
en porte la marque :
« On
ne se figure pas tous les prodiges d’économie que peut opérer, même à Paris, en
plein quartier latin, un estomac jeune et vigoureux, avec un pot de beurre
fondu, un quarteron d’oignons superbes et force pains de quatre livres, surtout
quand ce menu spartiate est assaisonné de courage, de patience et d’une forte
dose de ce piment qui s’appelle la volonté d’arriver. »
Larousse,
féru d’Opéra lui consacre en compagnie de Félix Clément une étude de près de
900 pages, on peut alors s’étonner qu’il n’ait pas rédigé un dictionnaire de
gastronomie…En fait, il n’hésite pas à
ajouter une rubrique « art culinaire » à tous les articles qui s’y
prêtent, ce qui en vérité donne au Grand
Dictionnaire Universel du XIXe siècle l’aspect d’un dictionnaire de cuisine.
POULET s. m. (pou-lè - dimin. de poule.)
Art culin. Nous n'avons pas à faire l'éloge de la chair du poulet.
Notre avis est que, si l'on peut en trouver de plus relevée, de plus parfumée,
il est difficile, sinon impossible, d'en imaginer d'aussi délicate et de plus
saine. Quant aux manières de l'accommoder, elles sont infinies, et nous devons
même avouer que, en dehors des procédés classiques, que nous avons le devoir de
passer ici, en revue, un praticien intelligent peut indéfiniment en improviser
de nouveaux. »
Si l’on mettait bout à bout toutes les rubriques
consacrées à l’art culinaire, on disposerait d’un dictionnaire
de cuisine qui serait de taille
fort respectable! C’est
d’ailleurs ce que dit l’article « Potage » qui commence ainsi : « Dix volumes ne suffiraient
pas pour donner la recette de tous les potages connus. On mange rarement de
bons potages dans les grandes maisons, parce que les cuisiniers puisent à
chaque instant dans la marmite pour mouiller les ragoûts et qu'ils remplacent
le bouillon par de l'eau. »
Comme un bon mets ne se conçoit
pas sans accompagnement de quelques épices, sauces ou condiments, j’ai cherché
ce que dit notre lexicographe à propos de la MOUTARDE s. f.
(mou-tar-de, - Ce mot est d'origine celtique;( car miostardd,
en kymrique, signifie qui émet une forte odeur.) Toutefois, on a hasardé une étymologie latine : multum, moult,
beaucoup, ardere, brûler; et une étymologie historique : « moult
tarde » devise des ducs de Bourgogne, qui avaient dans leurs Etats la
vraie patrie de la moutarde, Dijon. Le rapport paraît certain : reste à savoir
si la moutarde vient des ducs ou si les ducs, leur devise du moins, viennent de
la moutarde.
Art culin. Assaisonnement fait avec de la graine de moutarde broyée
et du moût, du vinaigre ou quelque autre liquide : Moutarde de Dijon
Notre
lexicographe ne se prive jamais de donner son goût et ses recettes préférées; ainsi, pour l’article aubergine, Larousse propose-t-il les aubergines farcies, les aubergines
frites, les aubergines grillées.
Mais il conclut en précisant que « l’aubergine qui est un des
mets favoris des méridionaux doit son principal prix à la préparation, et c’est
de ce légume surtout que l’on peut dire que la sauce vaut mieux que le poisson ».
De même pour le GIGOT : « Le gigot du mouton, de l'agneau et du
chevreuil est la partie de ces animaux dont il est le plus facile de tirer un
bon parti. La meilleure manière de le servir est de le faire rôtir, après qu'il
a eu le temps de se mortifier pendant quelques jours, plus ou moins, suivant la saison. »
Suivent pas moins d’une dizaine de façons de le préparer !
À tout seigneur, tout honneur, Larousse n’oublie
pas de nommer les grands noms de la gastronomie française! Il insiste aussi sur
une notion à ne pas perdre de vue :
« La cuisine
est d’abord un art, elle ne doit donc pas se réduire à une science. Il faut bien se garder, insiste-t-il, de la
pervertir par des sciences qui ne peuvent que la corrompre. Un
grave danger est né de ce progrès, la médecine, la chimie elle-même ont tenté
d’enrichir la cuisine et de la transformer en laboratoire. Espérons que le bon
sens de nos cuisiniers s’opposera victorieusement à cette intrusion, et que,
peu préoccupés de savoir si les truffes et les champignons sont azotés et
assimilables, ils continueront bravement à en assaisonner leurs ragoûts. »
Le bourguignon, habitué dès l’enfance à la
cuisine mitonnée avec des produits frais et goûteux, sent déjà venir le danger
de la cuisine que nous nommons aujourd’hui industrielle ou moléculaire !
Quant aux desserts, Larousse ne semble
pas trop attiré par les mets sucrés, l’article « dessert » ne compte
que deux colonnes qui retracent l’historique du mot. L’article pâtisserie est
un peu plus développé mais l’étymologie du mot entraîne un long développement
sur toutes les spécialités de pâtés : « On peut dire, sans craindre d'être
taxé d'exagération, que le pâté est la plus grande conquête de la cuisine
moderne, à qui l'on en doit tant
d'autres. » (Faut-il
en déduire une nette préférence de Larousse pour les mets salés?..) Toutefois,
alors qu’il vient de parler de la consommation des macarons, il s’attarde sur
le pain d’épice, et voilà qui va vous réjouir :
«
Le pain d'épice est en outre fabriqué à Dijon, Reims, Chartres et Arras. La
renommée de Reims est la plus ancienne et la mieux établie ; mais pourtant les
pains d'épice de Dijon sont de qualité supérieure à ceux de Reims et obtiennent
la préférence des gourmets »
Voici quelques lignes extraites
des colonnes de l’article « DIJON » :
Tout
bon repas se termine par le café, sujet à la mode au XIXe, Pierre Larousse se montre particulièrement
attentif à ses effets sur l’organisme humain.
« Le café,
explique-t-il, donne lieu à une excitation nerveuse qui surtout chez les
personnes non habituées à son usage, provoque l’insomnie, insomnie qui, du
reste, comme l’a dit Brillat-Savarin, n’est point suivie de fatigue comme celle
qui provient de substance stupéfiante. […] La stimulation que le café exerce
sur le cerveau lui a valu le nom de boisson intellectuelle. […] Tous les poètes ont chanté ses
vertus, et parmi eux nous nous bornerons à citer quelques vers que lui a dédiés
Delille :
II est une liqueur au poète plus
chère,
Qui manquait à Virgile et
qu'adorait Voltaire.
C'est toi, divin café, dont
l'aimable liqueur,
Sans altérer-la tête, Epanouit le
cœur. »
Il ne nous reste plus qu’à parler de la
boisson!
III .
Larousse et la vigne.
Si
le café, comme on en a pris conscience, ne laissait pas indifférents les
écrivains; traditionnellement, l’alcool se prête davantage encore aux
connotations littéraires, notamment au XIXe siècle avec l’absinthe
qui, déclare Larousse, « doit être entièrement
proscrite pour les tempéraments doués d’une sensibilité ou d’une irritabilité
très-grande ». Nous ne parlerons
donc que du produit de la vigne.
Dans une lettre à sa sœur qui tient l’auberge
familiale de Toucy, datée du 12 février 1847, Pierre Larousse insiste sur
son idée de faire fructifier la vigne que le père cultive sur les pentes derrière l’auberge à Toucy : « Je reviens
maintenant à notre commerce de vins. Réfléchissez-y bien, la chose en vaut la
peine […] Jamais on a vu un marchand de vins en gros faire faillite… »
La famille n’ayant pas donné suite à cette
proposition, il ne sera plus question de faire commerce de ce vin, mais il est
maintes fois question du vin de Toucy qui,
dit Pierre Larousse « passe à Paris, pour du Chablis » ! et
l’article du GDU qui est consacré au chablis porte de toute évidence le parti
pris de Larousse :
« Les vins blancs de Chablis ont une
réputation européenne, et valent encore mieux que leur réputation; ils sont
spiritueux, sans laisser sentir l'alcool; ils ont du corps, de la finesse et un
parfum exquis (goût de pierre à fusil) ; ils sont d'une limpidité et d'une blancheur remarquable, et se distinguent
aussi par leurs qualités hygiéniques et digestives, par l'excitation vive,
bienveillante et pleine de lucidité qu'ils communiquent à l'intelligence. Leur
conservation est indéfinie et ils s'améliorent encore en vieillissant ; une
bouteille de 1846 n'a pas prix, car
l'heureux détenteur ne s'en séparerait
qu'en la dégustant avec ses meilleurs amis, et les jours de baptême ou de mariage. »
Notre lexicographe est loin d’être objectif,
nous le voyons lorsqu’il évoque les vins de son département; à propos des vins
du tonnerrois :
« Le territoire d'Epineuil produit
des vins dont la plupart peuvent être classés parmi les meilleurs de la basse
Bourgogne.[…] Epineuil fournit quelques vins mousseux d'assez bonne qualité.
Les vins blancs du cru dit les grisées sont aussi estimés que les meilleurs
chablis ».
Il
ne tarit jamais d’éloges dès qu’il évoque les vins icaunais : Les uns méritent d'être
classés en première ligne parmi ceux de la basse Bourgogne ».
« Aux environs [d’Auxerre]
s'étendent les nombreux vignobles dont les produits sont «l'orgueil de la basse
Bourgogne. »
Vins
blancs, vins rouges….que préfère notre Bourguignon ?
Les
dix-sept colonnes de l’article « vin » ne laissent rien paraître, il
est vrai qu’elles sont rédigées d’après les notes laissées par Larousse décédé
lorsque le GDU en était à la lettre T. Sa préférence aurait-elle disparue sous
la plume des continuateurs ?
Il
faut donc chercher dans un article paru du temps de Larousse, et les lignes
consacrées au Bordeaux mettent l’eau à la bouche :
« Comme un parallèle entre ces deux
frères ennemis [bordeaux et bourgogne) peut avoir du piquant, c’est au mot
Bourgogne que nous tirerons la chose au clair. Ce jour-là –et ce sera bientôt-
nous aurons sur notre bureau un flacon de chambertin et un autre de
château-la-rose. A droite, côté du foie, synonyme de santé et d’Esculape, le
BORDEAUX ; à gauche, côté du cœur, synonyme d’amour et de Vénus, le
BOURGOGNE. »
Il
faut donc lire les huit colonnes de l’article « Bourgogne »,
pour découvrir la préférence de Larousse
entre Bourgogne et Bordeaux, nous y voilà justement :
« Le vin de Bourgogne est
délicieux, le vin de Bordeaux est excellent, le bordeaux nous ravit, le
bourgogne nous enchante, le vin de Bourgogne fait nos délices, le vin de
bordeaux fait notre félicité ; pour boire du bordeaux, on commettrait des
bassesses ; pour savourer du bourgogne, on ferait des infamies. […] et
finalement, il conclut :
« Le meilleur, du bourgogne ou
du bordeaux, c’est…tous les deux. »
Voilà
notre Larousse tout à fait objectif. C’est exceptionnel !… ou bien le Bourguignon amateur de bons
vins n’arriverait-il pas à choisir ? D’ailleurs qu’il parle de
bordeaux ou de bourgogne, les parties « encyclopédiques » des deux
articles commencent toutes deux par considérer la vigne et ces différents
cépages !
Conclusion
Il n’est pas étonnant qu’il soit
né en Puisaye : « ce pays
où l’on aime la vie, le vin, le rire, les anecdotes truculentes, la finesse du
langage. […] Sa personnalité est faite pour une bonne part du suc et de la
saveur du terroir » dit André Rétif dans la biographie qu’il lui a
consacrée en 1975.
D’ailleurs beaucoup de ses ouvrages
portent la marque de ses origines, Larousse n’oubliera jamais son enfance à Toucy ;
les colonnes du GDU regorgent de souvenirs que ce soient les bêtises de
l’écolier bavard : à l’article « hanneton » ; les
conversations entendues à l’auberge : à l’article
« diable » ; ses peurs enfantines : à l’article
« croquemitaine », ou bien la description pittoresque du concours
agricole de Toucy.
L’Ecole
Normale, sa revue pédagogique destinée aux maîtres ou l’Emulation à l’adresse des élèves sont elles aussi truffées de
souvenirs : c’est par exemple le gamin de neuf ans qui vole quatre chandelles*
neuves à sa mère pour lire les aventures de Robinson Crusoë dénichées dans la
balle du colporteur : un peu malade, on avait interdit à l’enfant tout
travail intellectuel ; et il devait se coucher avec les poules et comme
elles dormir tout de suite ! C’est donc, en quatre soirs, à la lueur des
bougies, qu’il a lu son roman d’aventures et ce furent dit-il « les quatre
plus beaux jours de ma vie »
Cet attachement à la terre, lui fera
choisir de vivre à l’extérieur de Paris et
ce n’est pas un hasard non plus s’il donne à plusieurs de ses ouvrages un titre
en rapport avec la nature campagnarde :
Jardin des racines
grecques ; jardin des racines latines ; Fleurs historiques ;
Flore latine
C’est à notre Bourguignon que je laisserai
la parole :
« Rions
avant d'être complètement heureux si nous ne voulons pas mourir sans avoir
ri » (article
« anecdote » du GDU)
et
ce dernier mot « A table, le potage va se refroidir » (article « table »)
Madame
Guilpain-Giraud